L’école Roberge

L’école Roberge.

Le 25 mars 2019.

L’école des porteurs d’eau. Monsieur le ministre Roberge, en éducation, on veut d’une école qui, d’abord, mette en cause les idées reçues, en commençant par les vôtres !    

Jules Lamarre, Ph. D. 
Économiste et géographe

Monsieur le ministre Roberge, je me suis procuré votre livre, Et si on réinventait l’école ? que vous avez fait paraître en 2016 chez Québec Amérique. Bien qu’il faille le lire en entier afin de bien saisir à quelle enseigne vous logez, je crois que le titre de l’ouvrage ainsi que votre photo en première de couverture nous en donnent déjà un bon aperçu. Vous y faites figure de jeune manager prometteur qui sait précisément où il s’en va. Pomme à la main, on pourrait croire que le système scolaire québécois en entier n’aurait plus aucun secret pour vous. De cela, permettez-moi d’en douter. 

Ensuite, vous nous regardez bien droit dans les yeux et, souriant, vous semblez nous dire : « Eh, les amis, mettons-nous tous et toutes en marche et réinventons l’école. Facile ! » Parce qu’on n’aurait qu’à vous suivre, mais pour aller où, Monsieur le ministre ? Ça, dans votre livre, vous ne nous le dites pas clairement. Toutefois il m’apparaît que l’école réinventée que vous nous proposez ne peut servir qu’à préparer des porteurs d’eau, mais plus efficacement encore que celle que vous décriez.  

L’urgence de procéder

En avant-propos de votre ouvrage, vous soutenez qu’il faille réinventer notre école afin que le Québec dispose d’un système scolaire plus performant qui puisse l’aider à prendre le virage de l’innovation et de la productivité. Selon vous, dans d’autres pays développés, de meilleurs systèmes scolaires y seraient parvenus qui seraient davantage en mesure de lutter plus efficacement contre la pauvreté et l’exclusion.

Vous ne devez sûrement pas faire référence aux système scolaire étatsunien, en tout cas, là où 42 % de tous les nouveaux détenteurs d’un baccalauréat spécialisé croulent sous les dettes d’études qui s’en vont rejoindre les rangs des pauvres ou occuper des emplois ne nécessitant tout au plus qu’un diplôme de fin d’études secondaires. Sachez aussi, Monsieur le ministre, que la précarisation massive de l’emploi aux États-Unis – et c’est le cas en Europe également –, conjuguée à la mise à mal de son filet de sécurité sociale et des organisations syndicales, y a provoqué le retour des travailleurs pauvres qui, eux, n’entrent pas dans le calcul des taux de chômage puisqu’ils travaillent, ne serait-ce que quelques heures par semaine et peuvent – ou pouvaient – toujours se nourrir grâce aux Food Stamps, car Trump est en train de sabrer dedans.

Monsieur le ministre, sachez surtout que durant les années 1960, le plus gros employeur privé aux États-Unis était la General Motors qui offrait des salaires de 50$ de l’heure en moyenne, en dollars d’aujourd’hui, à ses employés syndiqués qui garnissaient les rangs des classes moyennes maintenant en voie d’extinction. Aujourd’hui, c’est Walmart qui est le plus gros employeur privé aux États-Unis qui offre plutôt des salaires de 11-12 $ de l’heure à ses employés non-syndiqués dont bon nombre sont à temps partiel. Il est là en entier le nouveau visage généralisé du travail aux États-Unis.

Quoi qu’il en soit, pour sortir de notre marasme scolaire présumé, le ministre Roberge recommande d’éliminer les commissions scolaires si encombrantes et si coûteuses ; d’organiser le dépistage précoce des enfants présentant divers troubles d’apprentissage ; d’obliger les facultés d’éducation à n’accepter que des candidats comme lui à la profession de prof, et ainsi de suite. Mais sa mesure-phare me semble être de procéder à l’arrimage – la solution managériale caquiste par excellence – des programmes de formations offerts par les cégeps et les universités, ceux qui seraient axés exclusivement sur l’acquisition de compétences utiles il va sans dire, aux besoins réels du marché du travail afin d’éviter les pertes d’argent pour les contribuables.  

Comment le ministre entend-il procéder ? Eh bien, c’est en engageant une armée d’orienteurs professionnels chargés de coacher en continu les élèves depuis la maternelle jusqu’à la sortie du système scolaire, un peu comme font les agents du BS avec les pauvres personnes désespérées qui leur tombent entre les mains. L’objectif serait d’aider les étudiants, ou plutôt de les obliger, à faire de bons choix et surtout de les responsabiliser face à un marché du travail du futur dont personne ne sait pourtant de quoi il aura l’air, y compris Monsieur le ministre Roberge lui-même.

Monsieur le Ministre, on a déjà connu au Québec un système scolaire où des curés nous faisaient savoir ce que le Ciel attendait de nous, un Ciel sur lequel nous n’avions pas plus de contrôle que les orienteurs d’aujourd’hui n’en ont sur le marché futur du travail. Et si nous refusions d’obtempérer, alors les curés nous sauçaient dans le feu de l’enfer. Entre ces deux époques, rien n’aurait vraiment changé.