Maison de la géographie de Montréal
Bienvenue sur le site de la Maison de la géographie de Montréal. Fondée en 2008, sa mission consiste à réaffirmer au Québec, tout particulièrement, l’existence de la géographie à titre de discipline pleine et entière de la connaissance. Et il faudrait en faire autant pour d’autres disciplines comme l’histoire notamment sachant que, pour nos nouvelles universités marchandes ainsi que nos élus et élues qui se targuent d’être des gestionnaires, de telles disciplines seraient inutiles qui s’intéressent à qui nous sommes, d’où nous venons et où nous aimerions aller collectivement. Parce que selon eux, la chose ne serait qu’une perte de temps.
S’en prendre à l’enseignement de l’histoire et de la géographie, ça se fait couramment dans les pays totalitaires, là où l’Histoire est inventée de toutes pièces à laquelle il faut croire sous peine de se retrouver en camp de rééducation, que les divisions géographiques sont redessinées à volonté pour obtenir les résultats électoraux escomptés, que les noms de lieux sont changés périodiquement pour contrer l’émergence de sentiments d’appartenance locaux et régionaux, et désarticuler le communautaire soit autant de foyers possibles de contestation. L’objectif visé? Essayer de nous faire croire sérieusement qu’une telle chose que la société n’existe pas, comme le soutenait Margaret Thatcher, mais seulement des individus enfin devenus libres et égaux, du moins quand ils font du shopping.
Pour ce faire, nous commencerons par nous en prendre à ce que le philosophe Thomas De Koninck (2000) a appelé la nouvelle ignorance. Mais de quoi s’agit-il au juste?
La nouvelle ignorance
Depuis au moins Socrate, nous apprend Thomas De Koninck, on sait qu’il existerait deux formes d’ignorance, l’une positive et l’autre négative. La première est celle qui pousse à nous interroger depuis toujours sur notre place dans l’univers. Elle est un appel au développement continu de la connaissance et explique l’accumulation de tout le savoir humain. Cette forme d’ignorance nous invite au dépassement. Quant à la seconde ignorance, elle serait celle des gens qui ne s’intéressent pas à la connaissance. Parce qu’ils n’en auraient pas besoin croyant tout savoir. Cette ignorance nous maintiendrait dans l’illusion qu’on saurait alors qu’on ne saurait pas. Or plus que jamais cette seconde forme d’ignorance serait revenue aujourd’hui avec force mais sous de nouvelles formes (De Koninck, 2000). C’est cette seconde ignorance que cet auteur appelle « La nouvelle ignorance » parce que, sous une forme plus récente, elle n’aurait que faire de l’humain et de sa dignité. Sans cela, comment expliquer tous les génocides survenus depuis le milieu du XXe siècle sans compter celui de Gaza qui pourrait bien être en cours au moment d’écrire ces lignes ?
Essentiellement, l’existence de la nouvelle ignorance serait due à un manque de connaissances occasionnée aujourd’hui par le fait d’assimiler l’abstrait au concret sans nuances sachant qu’il s’agit pourtant de réalités autonomes. Pour bien rendre cette distinction explicite, l’auteur compare un arbre à une montre, un exemple qu’il dit emprunter au philosophe Emmanuel Kant. Alors que la montre serait un objet abstrait, pour sa part un arbre serait plutôt une réalité concrète. En effet, une montre est composée de nombreux éléments indépendants remplissant chacun une fonction particulière et qui, une fois réunis ou assemblés d’une certaine manière, permettent mécaniquement de mesurer le temps. Dans ce cas-ci, chacun des éléments impliqués dans le processus serait toujours étranger à tous les autres. Pour sa part un arbre comprend également de nombreuses composantes, pour conserver notre analogie, une analogie qui toutefois s’effrite aussitôt sachant que toutes ces parties quoiqu’identifiables croissent ensemble avec l’arbre d’une manière qui nous échappe tout en participant d’une même réalité. Contrairement aux composantes d’une montre qui sont indépendantes les unes des autres et qui « s’ignorent mutuellement », les composantes d’un arbre ou d’un humain poussent ensemble, se constituent en même temps que l’arbre ou l’humain et sont donc tout sauf indépendantes les unes des autres.
Transposons maintenant ce raisonnement dans un autre contexte, soit celui de la connaissance scientifique. Ainsi, ce que peuvent nous apprendre sur l’humain toutes les sciences particulières ou spécialisées comme la physique, la biologie, la chimie, les mathématiques, l’anthropologie, la psychologie, la sociologie, l’économie, les sciences politiques, les sciences religieuses, la littérature, les beaux-arts, la linguistique, l’histoire, la géographie pour ne nommer que celles-ci, et sans tenir compte de toutes les autres à venir, tout en étant essentiel demeurera toujours limité. Parce que l’on ne peut réduire le concret à des abstractions, à des réductions fournies séparément pas le nombre de disciplines spécialisées de la connaissance qu’on voudra. De sorte qu’en soustrayant du concret tous les savoirs particuliers que nous pouvons accumuler à son sujet, nous obtiendrons toujours un espace vide aux dimensions humainement inconcevables, à l’instar de l’infini. De là ce que Thomas De Koninck appelle la nouvelle ignorance qui consiste à aborder le concret en le réduisant à de simples abstractions aussi fascinantes et importantes soient-elles, mais qui demeureront toujours insuffisantes à cet égard.
Et l’auteur d’ajouter : « Il manque l’unité que seul peut donner le concret (Ibid, p. 18). »
